Rebelle n'est pas vraiment le terme approprié pour Gwendolyne. Même si souvent c'est ce qu'on lui a reproché par le passé. Elle, elle dirait plutôt "libre". Petite, la jeune femme était souriante et pétillante. Du jour où elle a hérité de sa marque, son état a changé. Elle est devenu plus sage, plus posée. Elle continue de sourire et de vivre sa vie mais il y a toujours ce fond de mélancolie dans son attitude sans trop savoir pourquoi. C'est là en elle et elle fait avec.
Pour autant, Gwendolyne est une battante. Elle n'abandonnera jamais quoi qu'il arrive. Elle campe sur ses positions quand elle les croit justes. Son frère oserait dire qu'elle est têtue mais il n'oserait jamais l'annoncer devant elle.
Ses rêves étaient simples, elle voulait juste vivre sa vie auprès des siens et pourquoi pas fonder une famille. Voire devenir milicienne comme son père. Pour ce dernier point, ce fut un peu la déception lorsqu'on découvrit qu'elle n'avait aucune immunité ni même résistance à la Corruption. A la différence de son frère qui partit donc suivre les traces du paternel dans la Milice. Elle choisit alors de rester auprès de sa mère.
Mais aujourd'hui tout a changé et elle se retrouve quelque peu perdue au milieu d'un monde qu'elle ne connaît pas vraiment. Même si elle sait se tenir, elle n'a ni les codes ni l'étiquette qui est dû à son rang de Comtesse. Elle se sent soulagée cela dit d'être aidé par son secrétaire dans la gestion du domaine.
Son échappatoire : son jardin. L'extérieur quelque peu délaissé du domaine de Morhai a vu une flore luxuriante émerger en peu de temps. Gwendolyne y passerait sa vie si elle le pouvait. Elle adore s'occuper des plantes elle-même et se promener à travers la végétation. De nombreux petits animaux viennent ajouter plus de vie à l'ensemble. Et il n'est pas rare de trouver la jeune femme endormie au soleil au milieu des herbes et des fleurs. Elle n'est jamais plus en confiance qu'en pleine nature, elle n'a jamais réellement peur. Ce qui est moins le cas en ville où elle se sent étouffée. De fait, elle quitte rarement son domaine hormis pour des voyages protocolaires.
La jeune femme est toujours mi apeurée mi fascinée par les phénomènes qui se produisent quelques fois autour d'elle. Elle n'a pas encore réussi à réellement dompter ce don qui lui a été fait, elle ne comprend d'ailleurs toujours pas pourquoi c'est tombé sur elle. Elle ne sait pas trop à qui en parler et essaie donc de saisir l'étendu de ses pouvoirs par elle-même.
- Léon, qu'est-ce qu'il y a à faire aujourd'hui ?
- Ce matin, nous devons passer en revue les murs de la forteresse et avoir un entretien avec le chef de la garde. Puis vous devez recevoir le seigneur Gontrand de Monjoie et Madame d'Izilfour dans l'après-midi.
- Pfff....
Gwendolyne soupira fortement en posant sa tête sur sa main. Elle était nonchalamment assise sur un lourd siège de bois, coude appuyé sur l'accoudoir et regardait son secrétaire face à elle d'un air désabusé. La jeune femme n'avait pas franchement envie de faire tout ça mais c'était devenu son lot quotidien à présent... Elle se demandait comment elle avait pu en arriver là...
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Il y a vingt-deux ans, naissait Gwendolyne et à peine quelques minutes plus tard, Ioann son frère. Une vie simple, sans fioritures. Un père milicien et une mère qui décida de s'occuper de ses enfants. Une enfance classique, rien de particulier à noter. Quelques bêtises mais qui n'en fait pas ? Bref, une certaine insouciance dans une nature un peu éloignée du reste du monde, non loin de Wilsein. Un havre de paix pour les deux enfants qui passaient le plus clair de leur temps dehors à gambader.
Une première déception pour la petite fille lorsque son sang se mêla à la Corruption dans la vasque. Elle ne serait donc pas milicienne comme son père. Paradoxe improbable que seul Huvara pourrait expliquer, le sang de son frère jumeau lui s'étala bien sur la Corruption. Les deux enfants furent donc séparés et Ioann partit faire son apprentissage dans la milice. Elle vit les yeux fiers de ses parents en le voyant partir alors qu'elle devait rester à la maison. Elle baissa la tête et ce fut sans doute un des jours les plus tristes de son existence.
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A peine un an plus tard, des gens vinrent taper à la porte de la petite maison dans laquelle ils habitaient. Il n'y avait ce jour-là que Gwendolyne âgée de sept ans et sa mère. Son frère était en pleine formation et son père, parti en mission. Il y avait là un homme d'un âge certain accompagné d'une assistante. Et ce qu'ils dire alors dépassait tout ce que la jeune fille pouvait imaginer. Une histoire à peine croyable.
- Regardez madame, fit l'homme en sortant tout un tas de vieux papiers jaunis sur la table, à moitié moisis pour certains. D'après ces archives, nous avons réussi à remettre la main sur la descendance de feu la Comtesse de Morhai, Anne-Adelaïde Eloïse de Lazard.
- Je ne comprends pas où vous voulez en venir, répondit Margareth, la mère de Gwendolyne.
- Son fils, Leandre a bien été marié avec une femme. Ils ont eu une longue descendance jusqu'à Joachim Lemaire, Huva de son état et malheureusement mort en mission il y a quelques années. Lorsque Yvonne, la dernière de la famille, est décédée nous avons été mandaté pour tenter de trouver les plus proches parents.
- Il se trouve qu'à force de recherches, ajouta l'assistante un peu trop enjouée, nous sommes tombés sur un écrit stipulant que Leandre a en fait eu un second mariage, seulement 2 ans après la mort de sa première femme. Il n'en avait parlé à personne et avait tenu ça dans le plus grand secret sans trop que l'on sache pourquoi. Sûrement pour préserver la quiétude de cette femme.
- Quoi qu'il en soit, repris l'homme en lui lançant un regard en coin, sa seconde épouse était une milicienne, Rosaline Larmallac. D'après certains registres, ils avaient combattu lors d'une bataille plutôt ardue ensemble. De leur union naquit un certain Estienne. Et en descendant, votre mari, Theobald.
Margareth regardait les documents sans vraiment savoir quoi regarder.
- Cela veut donc dire...
- Que votre mari est le plus proche descendant encore en vie de la famille de Lazard.
- Mais... Si c'est vrai, pourquoi nous n'en avons jamais rien su ? se questionna la jeune femme.
- Votre nom ne fait aucun doute, dit l'assistante avec un large sourire.
- Votre éloignement par rapport à Morhai et le fait qu'une famille a continué de régner sur le domaine a sans doute fait que personne ne se rende vraiment compte de la chose.
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Plus tard, il fallut faire un choix. Margareth parla de tout ça avec son mari, un nouveau rendez-vous fut pris avec ces archivistes afin de s'assurer de la véracité de la chose. On montra les mêmes documents officiels à Theobald qui resta sans rien dire avec des yeux ronds. Il devait bien avouer qu'il aimait bien sa vie de milicien, il ne voulait pas tellement en changer. Mais d'un autre côté, c'était une opportunité sans précédent. Il pourrait ainsi aider sa famille en leur donnant fortune et prestige afin qu'ils aient tout ce dont ils avaient besoin.
Et un jour, toute la petite famille déménagea pour Morhai. Ce fût un véritable choc pour eux. Le domaine était immense comparé à leur petite chaumière. On avisa Ioann de la chose et toute la famille dût se faire à ce nouveau train de vie.
Gwendolyne se sentait terriblement seule dans cette grande demeure. Son frère n'était pas là et ses parents étaient accaparés par leurs nouvelles responsabilités. D'autant plus qu'on lui colla un précepteur dans les pattes et même une gouvernante. Impensable pour elle et elle ne faisait d'ailleurs pas franchement d'efforts pour acquérir toute l'étiquette qu'on essayait de lui apprendre. La jeune fille préférait s'échapper dans les jardins et partir jouer avec les plantes et les animaux. C'est à ce moment-là qu'elle se lia d'amitié avec un renard. La bataille fut rude pour le garder près d'elle mais on céda à son caprice. Cette relation fut quelque chose de très important pour la fillette et elle chérit les moments passés avec son ami.
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Cinq ans plus tard, Ernest mourut. Les renards ne vivent pas longtemps. Et ce fut un énorme choc pour Gwendolyne. Son seul véritable ami était parti et elle était inconsolable. Elle garda le lit plusieurs jours avant de se faire traîner dehors par les adultes de son entourage, trouvant son attitude démesurée pour une "simple bestiole".
Elle leur en tenait bien sûr rigueur de ne pas comprendre sa détresse mais préféra ne pas en faire montre.
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Deux ans après, ce fut le tour de son père de mourir. Son héros, son modèle, celui qui avait toujours solution et réponse à tout. Elle en fut tout autant chamboulée. Elle savait bien qu'il n'aurait pas dû retourner sur le champ de bataille, il avait plus qu'une famille à s'occuper à présent. Mais l'appel du combat avait été plus fort que lui et malheureusement il ne s'en était pas sorti. Son frère passa un peu de temps avec eux pour l'occasion. Gwendolyne put échanger avec lui et ils se retrouvèrent comme aux premiers jours de leur naissance. Ils étaient jumeaux après tout, ils étaient liés plus que par le sang. Et cela ne changerait jamais.
Ce fut Margareth qui reprit les rennes du Comté de Morhai, secondée par le secrétaire toujours fidèle, Léon. La femme ne se remit jamais de la mort de son mari et choisit de ne pas refaire sa vie. Elle impliquait de plus en plus Gwendolyne dans les affaires du domaine au fur et à mesure que la jeune fille grandissait. Elle-même était de plus en plus malade. D'autant qu'à la fin, elle ne gérait même plus les choses et gardait le lit, attendant son heure.
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A à peine dix-neuf ans, Gwendolyne se retrouva seule à la tête de l'immense domaine de Morhai. Complètement perdue et submergée par la somme de travail, elle peina à trouver ses marques et les affaires balbutièrent pendant quelques mois avant de se stabiliser. Léon resta à ses côtés pour l'aider au mieux cela dit.
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Cela faisait trois ans que la jeune femme exerçait le pouvoir en tant que Comtesse de Morhai. Elle avait maintes fois tenté de changer de place avec son frère, premier dans la lignée pour prendre ce rôle. Mais il avait émis le souhait de rester milicien, là où était sa "véritable place" selon lui. Au grand dam de Gwendolyne...
Un jour de juin alors qu'elle flânait dans les jardins de la forteresse, elle tomba à nouveau nez à nez avec un renard. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'en avait plus vu et cela raviva une vieille blessure en elle. Il était manifestement en mauvaise santé et la jeune femme décida donc d'en prendre soin, même si elle voyait elle-même qu'il y avait peu d'espoir à le sauver. Pendant trois nuits et trois jours elle le veilla, annulant toutes obligations sans tenir compte des remarques qu'on pouvait lui faire. Cependant, comme elle le pressentait, cette pauvre bête fini par mourir dans ses bras. Et dans un dernier souffle, elle mordit le bras de sa soigneuse.
Gwendolyne fondit une nouvelle fois en larmes, de par la perte de cet animal qui lui rappelait terriblement son ancien compagnon mais aussi par ce geste incompréhensible alors qu'elle avait tout tenté pour lui.
S'en suivit une semaine atroce pour la nouvelle Comtesse. Une semaine à garder le lit, à divaguer sous l'effet de la fièvre, à soigner un bras infecté à cause des parasites qui gangrénaient le pauvre animal. Néanmoins, au fil des jours, en lieu et place d'une trace de morsure, la jeune fille qui changeait ses bandages remarqua une étrange marque sur le bras de Gwendolyne. Totalement apeurée, elle appela une prêtresse du temple pour l'examiner.
- C'est effectivement très étrange, fit-elle à Gwendolyne. Vous n'êtes pas la première à avoir ce genre de... chose en Auven.
- Et c'est censé être quoi ? répondit la jeune femme qui se remettait tant bien que mal.
- C'est... une sorte de don. Votre ami à quatre pattes devait être un envoyé d'Huvara et a choisi de vous gratifier d'un fabuleux don de la nature.
Un moment, la Comtesse pensa qu'elle délirait toujours et que ce n'était qu'un rêve. Mais force était de constater que les phénomènes ayant court à présent autour d'elle donnaient un sens réel aux paroles de la prêtresse ce jour-là.
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Aujourd'hui Gwendolyne essaie de se faire à ce nouveau "don". Elle remarque certaines choses mais elle n'ose en faire rien de concret. Cela l'effraie et attise sa curiosité en même temps.