Décembre 1323
"Je te sens grandir en moi et cela me rend heureuse. Tu n'as pas idée à quel point nous t'attendons avec ton papa. Je ne l'ai d'ailleurs jamais vu aussi protecteur. Je n'aurais jamais pensé que j'en serais là un jour, surtout après la perte de Dom. Je croyais ne jamais connaître le bonheur à nouveau. Mais tu es là.
Aujourd'hui un envoyé de la Forteresse est venu. Il m'a demandé si je n'avais toujours pas regagné ma forme de Louve. J'ai lu une pointe de contrariété sur son visage quand je lui ai affirmé que non. Mais j'ai aussi remarqué ses yeux se poser régulièrement sur mon ventre rond qui se cachait difficilement sous ma tunique. Il faut dire que tu prends un peu de place maintenant. Je pensais qu'il me lancerait un ultimatum mais il est finalement reparti sans trop rien dire.
Je me demande si la nouvelle va faire danser la haute instance mais au fond, je crois que je m'en fiche un peu. Tu es mon plus beau miracle dans cette période de doutes et de ténèbres. Et personne ne pourra nous séparer."* * * * *
- Par la présente, veuillez nous remettre l'enfant, au nom du Grand Protecteur.
Un homme en arme, visiblement un milicien, tendit une lettre cachetée à la mère. Celle-ci la prit et parcourut rapidement le contenu des yeux avant de déchirer le parchemin de rage.
- Hors de question ! Vous ne pouvez pas me le prendre !
- Ne rendez pas la tâche difficile.
- J'ai déjà perdu mon Huva, vous ne pouvez pas me priver de lui !
- Dites-nous où il est.
- Je saurais faire moi-même son éducation !
- Je ne le répéterais pas.
- On s'est sacrifié pour délivrer votre foutue Forteresse, Dom a même laissé sa vie pour sauver un camp de réfugiés de la Corruption et c'est comme ça qu'on me traite !
L'homme d'armes s'avança d'un pas décidé. La Louve se tint immédiatement sur ses appuis, ses yeux prirent cette teinte violine caractéristique et entama la transformation. Aussitôt, le second milicien sortit une lame de son fourreau et se prépara.
- Aya non !
La Huvar bondit sur l'homme désarmé et agrippa son bras dans ses crocs. Le second Loup eut seulement le temps de retenir sa gueule avec la sienne et la fit relâcher sa proie. Le milicien ne fut que partiellement blessé, tout au pire une fracture.
Il se tenait le bras alors que la servante apportait un couffin d'où provenaient des pleurs.
Le second rengaina sa lame et fit un signe à son comparse, visiblement insensible à sa blessure. Puis ils s'éloignèrent, emportant avec eux ce qu'ils étaient venus chercher.
La Louve regarda impuissante la scène. Puis elle se laissa tomber au sol tout en se transformant en humaine. Elle se roula en boule et éclata en sanglots alors que son compagnon, humain à nouveau lui aussi, caressait sa chevelure sans savoir quoi dire. Il n'y avait rien à dire. Attaquer ces miliciens c'était se retourner contre ceux qu'ils servaient. Et ça ne mènerait à rien de concret...
* * * * *
L'orphelinat était loin d'être l'endroit le plus sordide du monde. Mais il n'était pas non plus une partie de plaisir. Le petit avait à peine un an à son arrivée et cela faisait déjà cinq ans qu'il y était. Il avait intégré une petite bande de gamins plutôt remuants, tous plus âgés que lui cela dit. Ce n'était pas de tout repos mais au moins il avait un toit au dessus de la tête et à manger. Les prêtresses étaient gentilles et bizarrement, elles faisaient beaucoup attention à lui. Lui ne comprenait pas pourquoi mais il se disait que c'était normal. Après tout, il était le plus petit et ils étaient tous sans père ni mère. Et puis, c'était la prêtresse en chef qui lui avait trouvé son joli prénom. Gabriel.
* * * * *
- Tu crois qu'il s'est déjà transformé ? Il va avoir sept ans demain.
- Si c'est un Huvar, il y a des chances.
- Comment ça si c'est un Huvar ?
- Et bien, on n'en sait rien au final. Ce n'est pas parce qu'on l'est tous les deux qu'il l'est aussi.
Le feu crépitait dans la cheminée. La mère était couchée sur le sol, à même une peau. Son compagnon caressait tendrement sa chevelure.
- J'aurai aimé voir à quoi il ressemble. Il me manque...
- A moi aussi tu sais...
La Huvar se redressa et planta son regard suppliant dans celui de l'autre Loup.
- Va le chercher...
- Tu sais bien que je ne peux pas le faire...
- Je t'en prie, ramène-le...
- Aya... Je ne sais même pas où il a été emmené...
La père avait l'air tout autant démuni. Il ne pouvait que consoler sa compagne de la perte et de la douleur qu'elle vivait au quotidien.
* * * * *
S'échapper un moment des yeux de ses tuteurs, c'était le passe-temps préféré de Gabriel. Le louveteau n'en faisait vraiment qu'à sa tête. Cela faisait treize ans qu'il était avec Nepeina et Walter, son Huvar et il leur menait la vie dure. Gabriel était tout sauf tranquille et dès qu'il le pouvait, il s'extirpait des corvées et de l'apprentissage quotidien. Son terrain de jeu favori était les vieilles ruines de la Forteresse, et ce, malgré les interdictions formelles de ses tuteurs. Il avait entendu tellement de rumeurs sur elle qu'il voulait voir ça de ses propres yeux. La fougue de ses vingt-ans lui permettait de se faufiler en douce dans les vieilles pierres. Même si quelques fois, il était ramené manu militari par quelques miliciens chez Nepeina. Celle-ci soupirait, sachant très bien qu'il recommencerait malgré la punition de Walter.
* * * * *
Aya lisait le parchemin un peu défraichi, encore une fois. La décision de partir pour Kanera semblait si loin désormais. Elle le rangea finalement soigneusement dans un petit coffret contenant l'amulette gardienne que Daren avait confectionné pour leur fils.
L'un comme l'autre, ils ne cessaient de chercher leur enfant. Lui en acceptant toutes sortes de missions qui le faisait sillonner tout Auven. Elle, elle n'avait pu se résoudre à reprendre un Huva. Elle avait cependant accepté de prendre ce poste de formatrice, il fallait bien qu'elle soit utile à quelque chose. Ou elle finirait par sombrer... Et puis, avoir une patte à l'intérieur pourrait peut-être aider à apprendre quelque chose.
La porte s'ouvrit. Le Huvar entra et posa sa cape couverte de neige sur le portant près du feu. La jeune femme leva aussitôt un regard vers lui.
- Alors ?
- Non... Aucune trace de lui.
Elle baissa la tête, visiblement abattue. Puis elle prit le petit talisman dans sa main et le caressa doucement.
- Si au moins on savait à quoi il ressemble...
La seule chose qui les faisait tenir c'était le secret espoir de revoir leur fils au moins une fois avant de mourir. Ils le retrouveraient, coûte que coûte.
* * * * *
Humain à nouveau. Gabriel avait enfin appris à se contrôler. Il avait à présent trente-cinq ans et n'était pas franchement ravi de son sort. Fini les incartades à l'extérieur à vagabonder, son agenda était rempli de toutes sortes de savoirs sur le Culte, les Veilleurs, la Mission d'un Huvar, etc. Les seules choses qui lui plaisaient vraiment c'était d'accompagner ses tuteurs sur le terrain. Même s'il ne faisait pas grand chose et que les missions étaient globalement sans danger, au moins ça avait le mérite de le sortir.
* * * * *
La cérémonie du lien. Un jour que tous attendaient avec enthousiasme. Tous sauf Gabriel. Il n'avait pas envie d'être là, il n'avait pas envie d'être lié à quelqu'un, il voulait rester libre. Mais on lui avait bien fait comprendre qu'il n'avait pas tellement le choix. Et par on, nous parlons ici de Nepeina et Walter. Le jeune Huvar âgé à présent de soixante-ans promena alors son regard sur l'assemblée. Il repéra assez facilement une jeune fille qui semblait rester en retrait. Il l'avait déjà vu aux entraînements et l'avait suivi un moment, elle n'était pas si mauvaise, juste excentrique de par son comportement et son allure.
Gabriel se dit qu'elle ou une autre, c'était pareil de toutes façons. Et il l'enjoignit à venir vers lui. Ce qui provoqua quelques soupirs désolés par certaines jeunes Huva en fleur dans l'assistance.
Déjà trois personnes avaient passé l'arme à gauche, deux avaient fini prostrés et en larmes sur le sol et cinq autres avaient rendu le contenu de leur estomac, dont un sur les chaussures cirées du prêtre qui présidait la cérémonie. Ce qui ne manqua pas de faire sourire Gabriel.
Le mélange du sang eut lieu et ce fut une expérience tout à fait déstabilisante pour Gabriel. Lui qui se croyait invincible se sentit tout à coup terriblement faible. Un moment, il eut même l'impression de voir au travers des yeux de Lehda, sa future Huva. Et lorsque celle-ci sentit ses jambes se dérober sous elle, il se surpris à la retenir de façon automatique. Il l'observa un moment et éprouva même une pointe d'inquiétude quant à savoir si elle allait s'en sortir. Ce qui fût heureusement le cas et ainsi scella leur lien de façon indéfectible.
* * * * *
Dix ans étaient passés. Le duo fonctionnait plutôt bien en situation de combat. Néanmoins, leur lien dans la vie privée restait assez compliqué. Ils savaient qu'ils pouvaient compter l'un sur l'autre mais ils n'arrivaient pas exactement à communiquer de façon claire. Leurs caractères étaient diamétralement opposés ce qui n'aidait pas vraiment. Gabriel partait toujours devant tête baissée alors que Lehda était plutôt sur la défensive.
Néanmoins, ils sont Veilleurs et liés par le sang. Et au fond d'eux, ils ont une affection certaine l'un pour l'autre. Ils ne savent juste pas comment appréhender cette relation, même après dix ans de cohabitation.
Lehda est la Huva de Gabriel. Elle n'est pas tellement populaire auprès de ses comparses de par son attitude et son allure complètement farfelus. Elle est très souvent ornées de peintures tribales, même sans être en combat. Ses cheveux sont d'un brun clair, courts d'un côté et longs de l'autre et elle arbore quasi toujours des fleurs en guise d'ornements, tantôt des couronnes, d'autres fois simplement des fleurs, parfois sèches parfois fraîches. Elle porte des vêtements simples, composés d'une tunique dans les tons crèmes ou bruns et un pantalon près du corps ainsi que des bottines de marche confortables. Bref, quelque chose qui s'enlève facilement si on en a le besoin. Côté caractère, elle est l'entière opposé de Gabriel. La jeune fille est plus calme et posée, elle est souvent plongée dans quelques vieux livres qu'elle trouve dans les villes où ils se rendent. Même dans une taverne animée, on peut la trouver au fond attablée en train de lire. Dans les combats, elle est appliquée et méthodique. Et c'est aussi la facette sociale du duo, c'est très souvent elle qui règle les détails des missions et qui fait les rapports. On ne sait pas grand chose de son histoire avant son arrivée dans les rangs des Veilleurs, elle reste très secrète sur le sujet. Même Gabriel n'a pu glaner que quelques infos sur elle, comme si elle voulait faire table rase du passé.
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Quelques petits infos sur Gabriel- C'est la "douce" progéniture d'Aya et Daren. Il a le caractère impulsif de son père et la curiosité maladive de sa mère. (bref, tous les défauts)
- Il n'a aucune sacro sainte idée de qui sont ses parents. Sa naissance est un des secrets les mieux gardés du clergé, peu de gens sont aux courant de toute l'affaire. Et la plupart de ceux-là n'en connaissent que des morceaux. Certains ont gagné une retraite bien rentable d'ailleurs et sont priés d'en profiter.
- Ses parents essaient tant bien que mal de le chercher avec les moyens qu'ils ont (c'est à dire peu). Mais ils ne connaissent ni son prénom ni son allure. Ni même ce qu'il est au final.
- Le clergé ne pouvait pas laisser passer une des transgressions de leur code mais ils ne pouvaient pas faire l'impasse sur un potentiel serviteur d'Huvara (la famille d'Aya étant réputée pour avoir fourni quelques Huvar). Ils ont néanmoins été agréablement surpris de voir que celui-ci était lui-même un Huvar.