Lanten n’a jamais été un lieu de conte, une terre sacrée de légende.
Petite, Meve croyait qu’elle vivait dans un endroit spécial, béni de la Nature et ne comprenait pas pourquoi son père le qualifiait de « trou à rats oublié d’Huvara ». Comment un endroit oublié du Grand Loup pouvait être si beau avec ses plantes magiques qui s’illuminaient à la nuit tombée ?
Pourtant, il avait raison, la vie de colon n’était pas facile, les nouveaux villages devaient faire face à la tâche titanesque de leur implantation, souvent retardée par les sabotages des nomades natifs, ces maudites lucioles, avec lesquelles il était compliqué de traiter à cause de la barrière de la langue et des préjugés, des deux côtés. Une vie de privations et de frustration qui n’était pas toujours bien vécue notamment par le père de Meve qui noyait son amertume dans le spiritueux local et passait sa colère sur sa femme et ses enfants à la moindre occasion.
La petite fille trouvait du réconfort et une échappatoire dans des explorations diurne dans les terres environnantes, dans la contemplation des fleurs, quitte à ne pas effectuer son travail et provoquer encore plus facilement les foudres de son paternel. Mais à moins de dix ans cela l’arrangeait de faire l’innocente et semblant de ne pas comprendre cette causalité. C’est ainsi qu’elle s’était trouvée plusieurs fois à accompagner Anja, la prêtresse dans ses cueillettes, lui demandant à chaque pas si la mousse sur laquelle elle venait marcher ou la plante qu’elle avait frôlée servait à quelque chose. Anja ne répondait pas toujours avec patience, mais elle finissait toujours par répondre, encrant petit à petit l’intérêt pour les plantes et leurs effets dans la petite tête de Meve.
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« -
Meve, vient avec moi, épouse-moi, tu pourras devenir prêtresse là-bas. »
Dans la bouche de Lotten ces promesses d’avenir sonnaient si agréablement.
La petite fille qui s’extasiait de la beauté de la nature de Lanten s’y était perdue ne restait désormais plus qu’une jeune fille qui avait enfin compris en quoi cet endroit était un trou perdu et qui rêvait d’ailleurs. Une belle jeune fille que beaucoup de garçons des environs regardaient d’une manière ou d’une autre. Elles les avaient tous repoussées prétendant, pour eux, comme pour elle, qu’elle devait faire passer son rôle de novice et Huvara avant tout projet de mariage.
Puis il y avait quasiment un an de cela Lotten était arrivé, le fil d’un petit négociant en cuir et fourrure. Il venait du port, du chef-lieu, d’un endroit bien mieux, bien plus civilisé que le petit hameau perdu dans lequel Meve vivait. Avec patience, à chaque nouveau passage, il était venu la voir, débordant de compliment et d’attention pour elle à qui sa famille n’accordait pas beaucoup d’attention. Avec lui elle se sentait spécial, incroyable, même s’il lui avait déjà pris le bras et serré à lui en faire mal une fois alors qu’ils s’étaient disputés. Une stupide histoire de discussion, un peu trop longue au goût de Lotten, avec un homme du village… Mais ce n’était arrivé qu’une fois et il s’était excusé.
Cette fois-là elle était partie avec le quasi-rien qu’elle possédait, avec Lotten et son père tandis que le patriarche Mäkinen, à moitié ivres, hurlait des imprécations à sa progéniture.
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Le son irrégulier de la brosse résonnant dans le lavoir vide ne couvrait pas celui de ses pensées. Meve jeta un œil à l’enfant qui dormait dans un couffin près d’elle et se remit à frotter.
Endolorie, épuisée, elle se demandait comment sa vie avait pu prendre un tel tournant, comment elle en était venue à laver son propre sang séché sur ses draps ?
Tout avait commencé comme un beau dénouement, Lotten l’avait bien amené en ville, il l’avait épousé lors d’une très belle cérémonie, et lors de la fête qui avait suivi il n’avait pas tari d’éloge sur elle. La jeune femme avait également bien intégré le temple, il ne lui restait qu’une seule année de noviciat avant de devenir prêtresse à son tour.
Une année qui s’écoula plutôt paisiblement si on excluait les crises de jalousie de plus en plus fréquente et de plus en plus violente de Lotten.
Le contrôle qu’il avait sur elle grandissait jour après jour, et il prit un tournant juste avant qu’elle prononce son engagement envers Huvara. Son mari lui avait alors annoncer qu’à cause d’une livraison brûlée par les Lucioles le commerce leur commerce était fragilisé et qu’il ne pourrait plus se permettre d’employé, qu’il fallait qu’elle les aide et qu’elle n’aurait pas le temps de se consacrer au Grand Loup en étant prêtresse. La conversation qui en suivi fut violente et c’est à ce moment que le premier coup vint, une claque, immédiatement suivie d’une excuse et d’une litanie de mots doux. Il s’était emporté, ce n’était pas si grave, il avait juste tellement désespérément besoin d’elle.
Meve n’était donc pas devenue prêtresse.
Elle avait eu de plus en plus à faire peu importait qu’elle soit fatiguée, malade, même enceinte elle n’avait pas eu le droit à plus de considération. Elle avait fini par donner naissance quelques semaines trop tôt a un garçon dont on n’était pas sûr qu’il allait survivre.
Leur rétablissement à tous les deux avait été un enfer, un enfer pour physique fait de faiblesse et de douleur mais pas seulement, Lotten devenant dur, injurieux et injuste quand elle était clouée au lit. Finalement ils avaient survécu tous les deux le petit et elle, mais quelque chose c’était brisé, elle s’était brisée et elle l’avait réalisé, elle avait réalisé sa solitude et son épuisement.
Meve alors commencé à se rebeller un peu, en secret, elle retournait au temple, elle parlait aux prêtresses avec qui elle avait fait son année de noviciat. Bien sûr elle n’évoquait pas le sujet de sa réalité de sa vie, mais la simplicité d’une conversation sur le temps qu’il faisait et sentir à nouveau l’odeur des herbes séchées lui suffisait amplement.
Puis, il y avait une paire de mois, elle avait découvert qu’elle était à nouveau enceinte. Une horrible nouvelle, la première avait déjà été une épreuve, mais celle-ci avec son premier-né et Lotten qui était devenu invivable. Mais finalement elle n’avait pas eu à lui dire, un mois environ après sa découverte elle l’avait perdu. Son mari était entré dans une rage folle quand il avait compris, il l’avait battue l’accusant d’avoir provoqué la fausse-couche avec ses « remèdes de sorcière. ».
Finalement, elle avait compris.
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Meve l’avait fait, elle était partie.
Il lui avait fallu des semaines rien que pour se donner le courage de tout raconter à l’une des prêtresses en espérant que personne ne lui dise que ce qu’elle vivait été normal. Il n’en avait été rien, l’envoyée d’Huvara l’avait écouté avec compassion et douceur.
Il avait fallu encore d’autres semaines pour tout mettre en place, grappiller petit à petit le prix d’un voyage pour Auven.
Le grand jour elle avait prétendu partir au marché, son fils sous le bras et l’argent des courses et son petit pactole en poche. Le marché ne l’avait jamais vu. Meve avait filé au temple déposé le petit qu’elle ne voulait et ne pouvait pas prendre avec elle, les premières années seraient difficiles et elle ne pouvait pas infliger ça un enfant d’un constitution fluctuant. C’était presque tremblant qu’elle était montée à bord du bateau pour Auven, s’attendant à chaque instant à voir Lotten venir la chercher.
Ce n'était pas arrivé, cinq ans d'enfer venaient de prendre fin.
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« -
A quoi tu penses ? »
Questionna le Baron, depuis son lit, sur lequel il était assis et enfilait sa chemise.
Perdue dans la contemplation de l’activité qui régnait dans la cour Meve ne répondit pas tout de suite. Elle tourna la tête, leur regard se croisèrent, elle vit de la culpabilité dans le sien.
« -
Je pense qu’il me faudra plus de pavot… »
Mentit la jeune femme en retournant à sa contemplation.
Elle avait échoué au confit d’Haraldys à force d’errance exerçant le seul métier qu’elle savait faire et aimait. Un jour il était parvenu à ses oreilles que le Baron d’Harnen cherchait un nouveau guérisseur pour sa femme qui souffrait d’un mal lancinant et qui semblait incurable, la rétribution n’était pas incroyable, mais il se disait qu’il offrait gite et couvert, il n'en fallu pas beaucoup plus motiver une Meve qui survivait tant bien que mal depuis des mois.
Quand il lui avait demandé son nom, elle avait donné celui de naissance, quitte à porter le nom d’un homme elle avait jugé que celui de son père était le moins pire.
Il n’avait pas fallu beaucoup pour convaincre le Baron de lui confier la charge, effectivement sa femme était faible et rongée de douleurs un mal que l’on ne pouvait pas soigner, elle l’avait constaté, le mieux qu’elle pouvait faire était la soulager.
Il avait été également assez évident qu’elle plaisait au Baron. Elle ne lui avait pas résisté longtemps, elle avait trouvé une forme de paix et sanctuaire à Harnen, et si le prix était de passer quelques nuits en compagnie du mari d’une souffrante, cela n’était pas si cher payé. Il était discret même si tout le monde le savait plus ou moins mais n’osait pas en parler.
Quand sa femme va mieux il s’éloigne, mais son état empire il revient.
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1367 : Naissance dans un nouveau village de Lanten
1379 : Début de son noviciat à dans son village de naissance.
1384 : départ pour la ville principale et mariage.
1386 : Naisssance de son premier enfant
1389 : Fuite a Auven
1390 : Prend sa place dans le Baronnie.