Faits marquants de sa vie :1284 : Naissance de Brennan
1290 : (6 ans) :Première transformation en loup. Brennan est confié au Clergé.
1299 (15 ans) : Brennan est retiré à sa famille et placé sous la tutelle d'Elvire, une Huvar
1309 : (25 ans) : Premier retour à sa forme humaine
1354 (70 ans ) :) Cérémonie du lien avec Lévana, sa Huva
Avril 1394 (110 ans) : Mort de Lévana
Brennan est né à Hugren en l’an 1299 au sein de la famille Varg. Celle-ci est connue pour deux raisons principales. La première est sa fonction au sein de la société ; forgerons, et plus précisément haubergiers, les Vargs fabriquent des hauberts et cottes de mailles destinés en priorité aux Veilleurs. La deuxième se devine à leur nom, signifiant “loup”. En effet, les Vargs ont une inclination à donner des Huvars ce qui a longtemps bénéficié au clergé. Au fil du temps, ce dernier n’a d’ailleurs pas rechigné à instaurer certains Privilèges en échange de ce service. Ainsi, c’est non sans une certaine fierté que ses membres portent ce nom, symbole d’honneur et de dévotion.
Leur caractère devenait cependant toujours plus éphémère au fil des années. Car si la famille a en effet connu un âge d’or grâce à ce sang Huvar, ces dernières générations n’avaient pas été des plus fructueuses. Progressivement, la rivière était devenue un triste ruisseau voué à disparaître. De ce fait, l’abolition de leurs Privilèges était devenue une certitude de plus en plus palpable.
C’est pourquoi lorsque Brennan se transforma pour la première fois en louveteau durant l’année de ses 6 ans, l’ambiance fut à la célébration. C’est tout juste si on n’était pas allé embrasser le groupe de garçons qui avait, selon quelques témoins, provoqué la transformation tant attendue. Rapidement, on fit savoir que la relève était assurée ; un Huvar des Varg rejoindrait ultimement les rangs des Veilleurs, c’était acté.
De par son jeune âge, Brennan n’était bien entendu pas au courant de tels enjeux. La vérité, d’ailleurs, c’est qu’il n’avait pas compris grand chose de ce chamboulement soudain dans son quotidien à peu près paisible. Il était sans aucun doute le plus calme et le plus discret de ses frères et sœurs, et il n’avait jamais cherché à attirer l’attention d’une quelconque manière. D’ailleurs, les seules fois où il se faisait remarquer, c’était par sa nature timorée. Peut-être était-ce de la jalousie, ou bien s’agissait-il de sa timidité, mais sa popularité auprès des garçons de son âge était telle qu’au mieux on le retrouvait souvent caché dans les endroits les plus improbables, et au pire de revenir chez lui dans un état déplorable. Il ne comptait plus le nombre de fois où son père l’avait grondé, l’intimant à prendre exemple sur ses frères et à enfin “se comporter comme un homme”.
Le jour de sa première transformation en loup fut également le jour où le harcèlement avait pris une tournure plus cruelle que d’ordinaire. Les garçons avaient cette fois réussi à l’attraper, et il eurent le projet de le jeter dans un bosquet connu pour servir de refuge à des serpents. Ce n’est qu’arrivé au lieu dit, et au dernier moment seulement, que le petit groupe de brutes s’était retrouvé avec un louveteau anormalement grand dans leurs bras à la place d’un enfant terrifié.
Brennan ne comprit pas pourquoi les garçons l’avaient subitement laissé tranquille. Il ne parvenait pas non plus à expliquer la crainte figée sur le visage de certains, ni l’admiration dans le regard des autres - parfois les deux à la fois. La fête en son honneur qui suivit, le changement de comportement de sa famille, la fierté de son père, les explications qu’on lui offrit sur sa soi-disant métamorphose physique - il n’y entendait pas d’avantage. A ses yeux, il était tout simplement lui-même, ni plus, ni moins.
Sa confusion profonde envers son identité ne se dissipa pas de si tôt, et était parfois source de profondes frustrations au quotidien. Il ne comprenait pas pourquoi on s’adressait à lui d’une toute autre manière, ni les raisons pour lesquelles personne ne semblait comprendre ce qu’il disait. D’ailleurs, on avait presque totalement cessé de le solliciter, si ce n’est pour accompagner l’une de ses sœurs au marché en tant qu’escorte. Malgré la compagnie de ses proches, Brennan ne pouvait s’empêcher de se sentir seul. Son existence semblait ne se résumer qu’à son destin de “Huvar”, qu’on lui rappela suffisamment pour qu’il sache que tôt ou tard il devrait quitter le domicile familial pour aller combattre la Corruption. Si on lui avait demandé son avis, il se serait bien passé de cette mission divine pour devenir forgeron, comme son père et ses deux frères. D’ailleurs, il était convaincu que tout cela n’était qu’une grande et vaste méprise : il ne savait tout simplement pas se battre, et il était trop trouillard pour affronter quoi que ce soit. Il ferait un bien piètre guerrier, et on s’en rendrait rapidement compte.
C’est un peu avant ses 15 ans qu’il quitta le domicile familial pour être placé sous la tutelle d’une Huvar du nom d’Elvire. Malgré son manque de conviction, Brennan demeura fidèle à sa nature. C’est bien sagement mais non sans regrets, qu’il suivit son aînée vers une nouvelle phase de sa vie, laissant derrière lui une famille qu’il ne reverrait plus.
Brennan ignorait l’âge d’Elvire, mais il était évident que sa jeunesse s’était en bonne partie écoulée pour ne laisser que l’apparence d’une femme louve d’un âge honorable. Malgré l’extérieur bourru de cette dernière, Brennan comprit rapidement que ce n’était pas pour rien qu’il avait été placé sous sa protection. Sa tutrice savait exactement ce qu’elle faisait, prenant bien garde à la sécurité de son petit protégé. Cela ne la rendait pas moins dure et exigeante : aux yeux d’Elvire, ce louveteau craintif était autant une source d’exaspération que de frustration. Selon ses dires, il s’agissait d’une “tare” à corriger. N’avait-on jamais entendu parler d’un Huvar fuir face au danger, eux qui étaient responsables de la sécurité de leur Huva ?
Les mots faisaient mal à entendre, mais Brennan ne pouvait que lui donner raison. S’il avait bien appris une chose en suivant le duo pendant des années, c’est que travailler ensemble était une chose essentielle. Elvire évoluait en parfaite harmonie avec Armelle, sa Huva - et il était évident que chacune avait autant besoin de l’autre dans la mission qui était la leur. Mais serait-il un jour capable - non, digne de protéger une autre personne que lui-même ? Autant de questions qui le suivirent tout le long de son apprentissage, et encore davantage après sa première transformation en humain à l’âge de 25 ans. Ce doute qui le taraudait face à ce destin dont il ne pouvait échapper était un moteur pendant une bonne partie de son apprentissage, le poussant à donner le meilleur de lui-même. Peut-être n’était-il pas convaincu de sa légitimité en tant que Huvar, mais si une vie allait reposer sur ses capacités, il avait le devoir de prendre son entraînement au sérieux.
La dernière partie de sa formation fut la plus décisive, car il était temps pour lui de trouver sa moitié Huva. Une tâche bien plus compliquée qui n’y paraît. Elvire lui avait parlé d’un “déclic”, d’un “instinct” ; il saurait au fond de lui lorsqu’il aura trouvé le bon compagnon. Mais le fait est qu’aux cotés des divers jeunes Huvas rencontrés au fil de ses voyages, Brennan ne ressentait rien du tout excepté de la nervosité face à son devoir. D’ailleurs, sa timidité l’empêchait bien souvent de nouer de véritables liens. Certains devaient le trouver taciturne, d’autres trop incertain. Il était compréhensible qu’à leurs yeux, Brennan ne devait pas inspirer particulièrement confiance si on devait le comparer aux autres candidats potentiels. Il erra ainsi longtemps, trop longtemps, avant de trouver sa moitié Huva.
Et pourtant, il finit un jour par faire la connaissance de Lévana, alors âgée de 13 ans. Malgré leurs différences aussi bien de personnalité que d’âge, leur affinité fut des plus naturelle. Si Brennan se distinguait par son caractère effacé, Lévana n’éprouvait aucune hésitation à faire entendre. Brennan favorisait les approches prudentes, Lévana préférait ne pas y aller par quatre chemins. Il n’était pas extrêmement versé dans la religion, elle avait une tendance dévote. A bien des égards, on aurait pu dire qu’ils n’étaient pas faits pour s’entendre ; la vérité était que leurs différences étaient finalement ce qui les rapprochaient le plus.
D’abord forcés à travailler ensemble en raison de la formation de Lévana, les années passant, on finit par ne plus les voir l’un sans l’autre même en dehors de ce cadre. D’un côté, bien en évidence, une jeune demoiselle remarquable notamment par sa chevelure blonde et son visage empreint d’une noblesse presque inquisitrice ; de l’autre, un grand brun qui la suivait comme son ombre, silencieux et placide. Il ne fut qu’une question de temps avant qu’on leur Lien ne soit scellé, et avec lui leur statut officiel d’Huvar et d’Huva. Ils étaient à présent inséparables.
Longtemps, Brennan s’était questionné sur sa propre lâcheté. La banalisation du quotidien d’Huvar, son entraînement, et les efforts supplémentaires d'Elvire avaient été une première étape pour forger son mental. Mais ce qui l’aida surtout, et il s’en rendit compte progressivement, c’était que la présence de Lévana. Il ne se battait plus seulement pour lui-même, mais pour une toute autre personne, une vie qu’il estimait en plus haut point de surcroit. Ses propres craintes, ses propres doutes lui semblaient bien pâles face à la possibilité de perdre sa meilleure amie.
Tandis que les années s’écoulaient aux rythmes de leurs missions, ces sentiments évoluèrent d’une manière si naturelle que la transition fut presque imperceptible. L’exploration de telles émotions ne faisant pas partie de son curriculum, il lui fut dans les premiers temps difficile d’identifier clairement la nature cette profonde affection qu’il ressentait à l’égard de sa Huva. Il n’avait réussi à en dégager les enjeux qu’en réfléchissant à ses implications. Sa mission de Veilleur lui demandait une dévotion totale ; la vérité était qu’en réalité, il était devenu dévoué à Lévana et, il s’en rendit lentement compte, Lévana à lui. C’était un état de fait qui n’eut pas besoin de mots entre eux, et se perpétua dans le silence des gestes sans que leurs espérances de vie très différentes ne vienne altérer leurs sentiments.
Les quarante années suivantes furent uniquement dédiées à leurs missions. Ce n’était pas une vie paisible et facile, et des fois, Brennan se surprenait à envier la populace qui n’avait guère à se soucier de mettre leur en vie au quotidien. D’entre eux deux, c’était sans nul doute Lévana qui avait le sens du devoir le plus aigu. Brennan se serait bien contenté de n’accepter que les ordres du Père des Lames, considérant qu’on leur demandait déjà bien assez d’autant plus que leur métier n’était pas un choix volontaire de leur part ; Lévana, quant à elle, n’hésitait pas à prêter une oreille attentive à la milice et tout particulièrement aux petites gens sans défense. Si le sujet suscitait des dissonances entre eux, celles-ci n’étaient jamais véritablement sérieuses. Même s’il ne parvenait pas à convaincre sa compagne de la dangerosité d’une requête, Brennan finissait toujours par la suivre - même si c’était parfois à contrecœur, car cela signifiait aller à l’encontre de son instinct.
Peut-être aurait-il dû écouter davantage ce dernier le jour où elle accepta d’aider les membres d’un minuscule hameau en grande partie décimé du Comté de Telaïn. Ils ne désiraient pas seulement qu’ils purifient leur puit contaminé par la Corruption et la bonne moitié des villageois qui avait bu de son eau ; ils exigeaient que soient retrouvés et punis le ou les responsables de cette tragédie. Cela ressemblait en tous points à un crime du Souffle Primal. Bien entendu, fidèle à elle-même malgré son âge toujours plus avancé, Lévana n’hésita pas à prendre les choses en main même si cela signifiait se salir les mains. Brennan, quant à lui, ne se sentait pas particulièrement tranquille dans cette région reculée dont la nature abondante les isolait de la civilisation. Cela donnait un avantage certain à leurs ennemis. Et, pourtant, comme il l’avait toujours fait, et malgré ses arguments, il suivit sa moitié Huva dans la gueule du loup. Personne d’autres qu'eux ne pouvait aider ces petites gens, et ils ne pouvaient se permettre d’attendre un ordre officiel ; il serait trop tard, et les coupables seraient sans doute déjà loin. Tels étaient les mots de Lévana qui scellèrent cette mission finale. Elle avait toujours pris à cœur ses missions, et sa considération pour les plus faibles était l’une de ses plus belles qualités. Et pourtant, elle avait signé sa perte.
Car quand le duo finit par mettre la main sur les responsables, ils étaient tombés dans une véritable embuscade. En y repensant, Brennan se demandait même s' il n’y avait pas un traître parmi les villageois ; il serait allé prévenir ses amis du culte. Comment expliquer autrement l'anticipation de leurs adversaires ?
C’était un combat perdu d’avance, et pourtant, à ce moment-là, Brennan ne pensa qu’à une chose ; sauver sa Huva. Sauver Lévana. Elle devait fuir. Elle était si fragile, moins douée au combat, et surtout, elle n'était plus dans sa prime jeunesse. C’était son devoir de mourir pour elle, non pas en l’honneur de leur mission, mais parce qu’il l’aimait. Face au précipice de la mort, seule cette réalité importait à ses yeux.
Et pourtant, c’est elle qui mourra pour lui.
Dans ses derniers souvenirs, avant qu’il ne perde connaissance, il ne se souvient que d’une chose. Un corps, plus petit que le sien, faisant muraille devant l’ennemi. Une chevelure blonde sauvage se mouvant au rythme du combat. Des cris. Du sang chaud. Puis le noir.
Brennan aurait voulu ne jamais se réveiller. Et pourtant, lorsque ce fut le cas, la forêt à la terre trempée de sang avait disparu pour laisser place à des murs de pierre et la chaleur d’une chaumière. Il avait été sauvé par d’autres Veilleurs sur la trace des mêmes cultistes et avaient réussi à les mettre en fuite. C'était de la pure chance.
Brennan se sentait à ce moment même tout sauf chanceux.
Lévana était morte. Personne n’avait eut besoin de le lui dire ; il le sentait au plus profond de son cœur, comme si la moitié de son âme avait été arrachée pour ne laisser qu’un immense vide impossible à combler.
Jamais il n’avait ressenti une telle détresse. S’il avait eut le choix, il se serait immédiatement levé pour retrouver la dépouille de sa Huva pour mourir à ses côtés, rétablir l’ordre des choses. Seule ses blessures importantes l’empêchèrent de mener son souhait à terme.
Quatre mois après ce fatidique incident, Brennan n’est toujours pas en paix, son deuil encore bien vif. La cérémonie de Départ qui s’était déroulée peu après son sauvetage n’avait pas réussi à lui faire tourner la page, n’étant qu’une piètre source de consolation. Certes, sa compagne avait reçu une sépulture digne, mais l'existence même de cet hommage de mort n’était qu’un ultime symbole de son erreur. Il avait été incapable de la protéger au moment où elle avait eu le plus besoin de lui, et cela, il ne se le pardonnerait jamais. Les séquelles mentales étaient telles qu’il était incapable de reprendre sa forme de loup. Une juste punition à ses yeux, contre laquelle il ne chercha pas à se rebeller.
La douleur de la perte lui fit perdre goût à bien des petits plaisirs de la vie. A présent, il vit de manière purement mécanique. S’il se lève le matin, c’est pour s’entraîner à l’épée comme il le faisait à l’époque de sa formation. Il reste à distance de ses missions de Veilleurs, pour ne se concentrer que sur la seule chose qui l’obsède depuis ces derniers mois.
Retrouver les responsables directs de la mort de Lévana.