S'il est une chose certaine, c'est que Romèu est une personne que l'on remarque de loin. Et la première raison, c'est tout simplement sa carrure. Le baron est relativement grand, et de silhouette imposante. Mais si ses vêtements amples peuvent donner l'impression que sa largeur de corps pourrait être due à une musculature importante, il n'en est rien. Romèu n'a pas le physique d'un guerrier. Cependant cela ne l'empêche pas d'abuser de cette impression pour intimider les personnes facilement impressionnables. Cela, et puis son visage expressif.
Ce visage en question est entretenu avec soin, comme tout dans l'apparence externe de Romèu, lui qui se soucie tant de donner une image positive de lui, en sachant pertinemment que sa personnalité est des plus laides. Sa barbe épaisse et sa moustache sont parfaitement soignées, et offrent un ensemble expressif avec ses épais sourcils. Elles offrent un contraste avec sa peau légèrement bronzée.
Ses cheveux noirs, ondulés mais courts, sont plus la plupart du temps coiffés d'un chapeau, et voient rarement la lumière du jour en public.
Le seconde, et principale, raison qui font de Romèu une personne qu'on remarque, est son style vestimentaire, extravagant et pompeux. Le baron est quelqu'un qui veut constamment être au centre de l'attention, comme si pour compenser ses complexe. Il exhibe sa richesse et son pouvoir en revêtant des accoutrements éclatants de finesse et de dorures, là où d'autres personnes de son rang préfèrent des vêtements plus sobres.
Et sa démarche, et son langage corporel, très grandiloquents et assertifs, renforcent toutes les impressions que son apparence donnent.
Dans le paysage de la noblesse de Degron, connue pour ses valeurs chevalières et martiales, dire que Romèu fait contraste serait un euphémisme. Loin de l'idéal du seigneur guerrier Degronnais, menant ses hommes courageusement au combat pour défendre les frontières méridionales d'Auven, Romèu se rapproche plutôt de l'image du noble corrompu, avide de pouvoir et égoïste.
Non, le Baron de Gajor n'est pas un modèle qui fait rêver les enfants. C'est un homme pragmatique sans scrupule, à l'ambition dévorante, qui n'est préoccupé que par son propre intérêt. Méprisant les valeurs et les traditions de la vieille aristocratie, il ne se sert de l'étiquette noble que comme d'un outil de plus pour parvenir à ses fins. Et si son accession au titre de Baron de Gajor doit beaucoup à la chance, lui dont le père n'est pas né de sang bleu, cela ne l'empêche pas d'exploiter le pouvoir que lui confère sa position autant que possible.
Romèu n'est peut-être pas un grand guerrier, contrairement à ses pairs, mais il manie l'art de la politique avec une efficacité implacable. Corrompu jusqu'à la moelle, il use de la tromperie comme une seconde langue et possède un vaste réseau de relations, dont une grande partie est peu avouable. Il sait exactement à qui s'adresser et comment. Cela est fortement aidé par sa capacité innée à mentir et son grand charisme, dont il abuse ouvertement.
Et, sa richesse est la preuve que ce panel de talents peu flatteurs porte ses fruits. Romèu est riche. En tout cas, beaucoup plus riche que ce qu'un simple baron d'un territoire nouveau sous-développé du sud d'Auven ne devrait logiquement être. L'argent coule vers lui comme attiré naturellement. Et puisqu'il sait comme redistribuer cette richesse, on ne demande pas d'où vient cet or. On se contente d'en profiter. Et tout le monde est gagnant.
Car là où le baron se démarque d'autres nobles corrompus égoïstes, c'est sa clairvoyance. Romèu ne se contente pas d'être un simple baron riche, il voit loin, beaucoup plus loin. En utilisant la confusion politique à Degron causée par son expansion rapide, il désire briser l'équilibre du pouvoir du duché pour en prendre de facto le contrôle, et pouvoir regarder de haut les vieilles maisons nobles.
Cependant, ses ambitions sans borne, presque irréalistes, lui demandent un grand sens du pragmatisme. Et cela passe par le fait de réinvestir sa richesse. Alors, Romèu investit, il parraine, il fait circuler sa richesse, dans le but de rendre toujours plus de personnes redevables envers lui, mais aussi de développer sa baronnie, la rendre plus puissante. Car plus Gajor sera puissante, plus lui sera puissant. Et la frontière avec les Terres Sauvages n'est pour lui que la promesse de l'expansion future de ses terres.
Et ainsi, de surface, le personnage paraît presque être bon samaritain: investissant dans le développement de l'infrastructure de la baronnie et l'exploitation du bois, soutenant avec ferveur le culte d'Huvara pour repousser la corruption, encourageant la construction de nouvelles bourgades le long de la Novara, ... Romèu aurait pu être une bonne personne, si l'argent qui alimentait tout cela n'avait pas une provenance douteuse, et si toutes ces initiatives n'existaient pas que pour nourrir son intérêt personnel.
Mais le seigneur de Gajor joue suffisamment bien son personnage, extravagant et généreux, pour que l'illusion persiste. A Gajor, on sait que le seigneur des terres n'est pas forcément l'homme le plus scrupuleux, mais il est amiable et enrichit la baronnie. Et pour la plupart, cela suffit.
Mais ceux ayant la chance, ou non, de le connaître de manière plus personnel, connaissent un homme impulsif, facilement emporté par ses émotions, susceptible, et très complexé par son ascendance non noble. Et son léger accent, typique des hommes de la frontière sud d'Auven, n'est pour lui qu'un insupportable témoin trahissant ses origines populaires. Il est indéniable que son attitude arriviste et son goût pour le luxe et l'extravagant ne sont qu'une conséquence de son complexe d'infériorité envers "la véritable noblesse". Et il n'existe que peu de manières d'enrager l'homme plus qu'en lui rappelant son surnom diffamatoire "Le Grand Péquenot". C'est aussi pourquoi son désir de briser le contrôle des vieilles maisons a une dimension si personnelle pour lui.
En conclusion, faut-il faire confiance au Baron de Gajor? Probablement pas. Mais est-il une personne qu'il est bon d'avoir de son côté. Probablement.